Biyè sa a (an franse) se dezyèm pati yon analiz mwen reyalize sou sitiyasyon finans piblik leta ayisien. Nan pati sa a map eseye eksplike lakòz move jesyon lajan leta an Ayiti e konpran obstak ki anpeche leta kolekte kòb sitwayen yo dwe li de fason ekitab e efikas. Apre sa nou pral gade wòl èd entènasyonal la nan kad devlopman kapasite leta pou mobilize taks nan peyi a. Refleksyon sa a baze sou etid mwen reyalize pandan 5 lane inivèsite sou pwoblematik politik ekonomik, devlopman peyi pòv yo ak pwoblèm devlopman nan rejyon Amerik Latin ak Karibeyèn lan.

Mesaj prensipal yo:

Prensipal obstak yo gen orijin yo nan yon konbinezon 1) tradisyon peze souse de gouvènan yo an Ayiti ak 2) yon mefyans sistematik de kontribuab yo anvè yon yerarchi leta ke yo kiltirèlman rejete depi nan lendepandans. 

Inefikasite ak Injistis sistèm fiskal ayisien an reflete pratik predatè de leta Ayisien ak move relasyon leta genyen ak kontribuab li yo. 

Asistans entènasyonal la an diminisyon an Ayiti. Men gras a asistans lan depi yon sètan nonb lane, Ayiti reyalize kèk pwogrè nan mobilizasyon fiskal li. Men pou Ayiti sispann depann de etranje pou jere pwòp tèt li poukont li yon jou, sa nesesite yon seri refòm ak efò ke leta pa reyalize. 

4. CARACTÉRISTIQUES DU SYSTÈME POLITIQUE, ÉCONOMIQUE ET FISCALE D’HAÏTI À L’ORIGINE D’UNE FISCALITÉ RÉGRESSIVE, INIQUITABLE, ET INEFFICACE

Nous avons vu que les pays pauvres ont des caractéristiques communes en termes de niveau de développement et de vulnérabilités. Haïti est cependant un cas spécial du fait de la nature complexe de son environnement politique, économique et fiscale. Dans cette partie, nous analyserons selon une perspective socio-politique, les différentes dimensions des obstacles à l’équité et à l’efficacité de la pression fiscale en Haïti.

4.1. ORIGINE DU MAL : L’ÉCONOMIE POLITIQUE D’HAÏTI

Max Weber, théoricien social classique du XIXème siècle, définit l’Etat comme “une entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et en tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime […] à l’intérieur d’un territoire géographique déterminable”[1]. Pour Weber, le lien entre Etat et citoyens est donc défini par des rapports d’autorité à obéissance, qui sont fondés sur la reconnaissance par les citoyens de la légitimité de l’Etat. L’impôt peut être perçu selon cette perspective, comme une forme de violence de l’Etat. Cependant pour que l’Etat réussisse à le collecter, encore faut-il qu’il ait la capacité de le faire accepter.

La légitimité selon Weber est une conception contractualiste de l’Etat. Ce dernier est le seul apte à faire usage de la force sans qu’on puisse lui en dénier le droit, tant que ce droit fait partie du contrat reconnue par la communauté qu’il gouverne. Or en Haïti, depuis son indépendance des forces impériales françaises en 1804, le pouvoir de l’Etat a souvent émané d’une alliance opportuniste entre une petite élite commerçante métisse et les héritiers spirituels de l’armée révolutionnaire. En parallèle, la majorité pauvre et marginalisée de la population a toujours été écartée du pouvoir, la plupart du temps réprimée dans le sang.

En 200 ans d’histoire, les dynamiques politiques ont évolué, notamment du fait de l’intervention directe et indirecte de forces externes (par exemple l’occupation américaine entre 1915 et 1937, puis encore une fois en 1994). Cependant, la tradition autoritaire et anti-sociale héritée du colonialisme français s’est enracinée dans l’ADN de l’Etat haïtien.

Comme le remarque le politologue haïtien Robert Fatton Jr.[2], c’est plus particulièrement l’héritage de l’économie de plantation basée sur l’esclavage des Noirs qui est à la racine de cette tradition. Selon Fatton, au lendemain de la guerre d’indépendance menée au nom de la lutte contre l’esclavage et pour l’émancipation des Noirs, les généraux et pères fondateurs d’Haïti, pour la plupart issues des rangs de l’armée française, ont dû se confronter à un dilemme qui n’a “jamais été résolu de manière satisfaisante” depuis la naissance du pays. En effet, comment transiter d’une économie de plantation intensive en main d’œuvre gratuite et axée sur les exportations agricoles (de sucres essentiellement), vers une économie agraire sans esclaves, et en plus dans un environnement international hostile à Haïti[3]? Soit les décideurs préservaient les aspirations de liberté des anciens esclaves, ce qui supposerait une redistribution des anciennes plantations de manière équitable entre les paysans, mais ce qui détruirait toute possibilité de développement productif du pays. Soit ils rétablissaient le système de plantation intensive, ce qui nécessiterait une forte coercition des citoyens-paysans pour leurs imposer un retour au travail de la terre. Du fait de la structure économique et des conditions internationales de l’époque, et au nom de la souveraineté économique, les premiers dirigeants du pays ont choisi de sacrifier l’émancipation pour le développement productif.

Or, non seulement cette stratégie n’a pas rapporté les résultats escomptés, mais en plus elle est aussi à l’origine de l’instabilité et la violence politique récurrente en Haïti. En effet, le dilemme imposé au lendemain de l’Indépendance a exacerbé les antagonismes entre les partisans de l’économie de plantation et ceux de l’émancipation. De fait, la majorité des paysans ont fortement et souvent violemment résisté la restauration des plantations, vu comme symbole de servitude. Comme le note Fatton, les dirigeants successifs d’Haïti ont été incapable “d’imposer la discipline rigide nécessaire au système de plantation”. Progressivement, ces dernières ont commencé à disparaître, paradoxalement diminuant toute possibilité de développement productif du pays. Or en parallèle, le système politique excluant, hiérarchique et militariste est resté.

Par conséquent, et pour revenir à la perspective weberienne de l’Etat, nous pouvons en déduire qu’en Haïti, l’Etat n’a jamais acquis le monopole de la violence légitime : si au fil de son histoire, la violence a été une partie intégrante de son action politique, en revanche la légitimité elle, fruit d’une reconnaissance par les dirigés de son autorité, n’a jamais été au rendez-vous.

Les implications de l’histoire de l’économie politique d’Haïti pour les finances publiques sont directes. Dans un tel contexte, on devrait s’attendre à deux phénomènes. Le premier, c’est une faible capacité à prélever l’impôt, puisque l’Etat illégitime peut difficilement imposer cette violence à sa population. Or comme nous l’avons vu précédemment, c’est un fait.

Le deuxième, c’est la reproduction systématique d’une politique fiscale régressive (une proportion plus élevé des impôts prélevés des contribuables à faible revenu que des contribuables à haut revenu) et donc iniquitable. En effet, le caractère excluant de la structure économique que nous avons décrit suppose une élite contrôlant les ressources et une majorité pauvre dépossédée. Renforcé perpétuellement par la pauvreté matérielle découlant de la stagnation de la production et des conditions économiques au fil du temps, cette réalité a renforcé la “politique du ventre” de l’élite administrative : une vision de la politique comme principale source de rente et unique moyen de mobilité socio-économique.

D’après les conclusions de la Revue des finances publiques d’Haïti de la Banque Mondiale, c’est exactement ce qui transparaît. D’une part, la politique fiscale contemporaine d’Haïti est iniquitable et régressive, mais en plus elle est inefficace.

Le premier obstacle à la pression fiscale haïtienne est donc la culture politique du pays, divisé entre la tradition prédatrice des gouvernants et la méfiance systématique des contribuables. Si cette dynamique s’inscrit dans un cadre historique, elle implique également des obstacles concrets à la progressivité et l’efficacité du prélèvement fiscal.

4.2. OBSTACLES À LA PROGRESSIVITÉ DE L’IMPÔT

En ce qui concerne les obstacles à la progressivité de l’impôt, les principaux facteurs explicatifs identifiés par le rapport de la Banque Mondiale, sont la prévalence des impôts indirects dont le fardeau est inégalement réparti entre les différentes catégories socio-économiques ; et la prépondérance d’exemptions fiscales inutiles.

Le premier obstacle révélé, la prévalence de l’impôt indirect dans la composition fiscale d’Haïti reflète l’absence d’équité dans la politique fiscale de l’Etat. D’après la Banque Mondiale, “le ratio des impôts directs aux impôts indirects était de l’ordre de 30 % en 2011, soit un niveau inférieur à celui observé dans la plupart des pays de la région LAC et à la moyenne des pays à faible revenu.” Bien que les impôts indirects présentent des avantages parce que plus faciles à administrer, ils augmentent l’injustice sociale parce qu’ils touchent sans distinctions tous les contribuables. Ainsi, le fardeau de ces impôts diminue au fur et à mesure que le contribuable est plus riche. Cette forme d’impôt est donc par nature régressive. De plus, la dépendance de l’Etat à ce type d’impôts décourage la construction de liens entre l’Etat et le citoyen.

Le second obstacle à la progressivité de l’impôt, la prépondérance des exonérations, illustre parfaitement le rapport historique entre l’Etat haïtien et la classe commerçante et industrielle. Ces exonérations ont été mise en place en 2002 dans le cadre de la loi sur les investissements pour encourager l’investissement privé, et en particulier les investissements directs venant de l’étranger (IDE), alors que le pays traversait une période de crise politique aigüe. Or comme le note la Banque Mondiale, cette politique n’a produit que des résultats médiocres depuis sa mise en place.

Une étude économétrique récente de la Banque a montré que les incitations fiscales pour les entreprises dans les pays en développement ne contrebalancent pas un climat d’investissement peu attrayant. Selon l’étude, lorsqu’un pays est caractérisé par de l’instabilité politique et macroéconomique, un niveau d’infrastructures précaire, une mauvaise gouvernance et des marchés défaillants, comme c’est le cas en Haïti, l’effet d’une réduction d’impôts sur l’IDE est minime[4].

Le système des exonérations en Haïti est à l’image du capitalisme de copinage qui l’a produit : inefficace mais surtout inéquitable. En effet, les conséquences distributives régressives de ce système sont fortes puisque ces exonérations érodent le produit des impôts directs et bénéficient principalement aux contribuables les plus riches.

Une analyse (à partir de données limitées) de la composition fiscale d’Haïti révèle ainsi une tendance régressive de la fiscalité haïtienne.

4.3. OBSTACLES À L’EFFICACITÉ

En ce qui concerne l’efficacité, les obstacles identifiés viennent de la composition des recettes fiscales d’Haïti mais aussi des défaillances de son administration publique.

Premièrement, les exonérations d’impôts sur le revenu dont nous avons parlé plus tôt sont également préjudiciable pour l’efficacité de la mobilisation fiscale puisqu’elles représentent un manque à gagner énorme pour l’Etat. Selon des estimations du FMI (2013), 63% des impôts sur le revenu des sociétés en Haïti n’ont pas été perçu en 2011 du fait d’exonérations à l’impôt sur le revenu. De telles exonérations représentent un coût d’opportunité énorme pour l’Etat, surtout dans le contexte où ces exonérations n’ont pas pour autant augmenté les investissements.

Deuxièmement, en Haïti, il existe des impôts générant peu de revenus pour l’Etat mais qui sont vexatoires pour les entreprises car imposant d’importants coûts de conformité et de respects des règles fiscales en vigueur. La Banque Mondiale considère par exemple qu’éliminer de tels impôts seraient plus efficaces que de maintenir les exonérations, non seulement pour attirer l’investissement privé mais en plus pour l’Etat car représentant un manque à gagner moins important

Sur le plan administratif, la plupart des indicateurs de corruption et de gouvernance classe Haïti dans le rouge. Les pratiques de la politique du ventre en Haïti sont visibles à tous les niveaux de l’administration. Cela se traduit par des défaillances graves au niveau du prélèvement des impôts, comme peut l’illustrer le niveau endémique de la contrebande et l’évasion fiscale. Pour la contrebande par exemple, le Ministère de l’économie et des finances estime que 400 millions de dollars de droits de douanes ne sont pas payés chaque année. Cela représente près de 34% du total des recettes fiscales de 2017. Or comme l’estime la Banque Mondiale, 60% des impôts prélevées proviennent indirectement de la douane. 400 millions de dollars de contrebande représentent environ 50% de perte, un taux astronomique quand on considère la rareté des ressources disponible. Pourtant, comme nous l’avons vu dans la littérature, plus la corruption dans un pays est élevée, plus la pression fiscale est faible. Ce n’est donc pas si surprenant de constater de telles anomalies ; la contrebande et l’évasion fiscale ne représentent que la face émergée de problèmes structurelles plus profond.

Par ailleurs, la composition sectorielle de l’économie est également une entrave à l’efficacité de la mobilisation de ressources. Comme nous l’avons vu, le secteur informel et le secteur agricole ont une incidence négative sur la pression fiscale, or en Haïti il y a une prédominance de l’économie informelle, une faiblesse de la production industrielle intérieure et près de 60% de la population dépendant de l’agriculture comme activité économique principale.

Un autre obstacle identifié est la mauvaise définition des tranches fiscales pour la perception des impôts directs (impôts sur les revenus, impôts sur le patrimoine, etc.). Les tranches fiscales correspondent aux catégories de revenus utilisés pour déterminer le montant des taxes à percevoir. Pour que la politique fiscale soit progressive et efficace, la charge fiscale doit être positivement liée au niveau de revenu du contribuable. Or, si la définition même de la tranche fiscale est mal faite, l’Etat risque d’avoir un manque à gagner qui peut être difficilement comblé. C’est exactement ce qui se passe en Haïti. Par exemple, la Banque Mondiale a établi que le taux maximal applicable aux impôts sur le revenu ne frappe que les contribuables ayant des revenus dépassant les 2000% du PIB par tête. Cette estimation montre à quel point le recouvrement du produit de l’impôt sur le revenu est inefficace en Haïti. De plus les impôts perçus correspondent en général aux impôts sur les revenus gagnés dans le secteur formel et dans le secteur public, ce qui représente une fraction de l’économie réelle en Haïti.

En somme, l’inefficacité et l’iniquité de l’impôt en Haïti sont le reflet des pratiques prédatrices de l’Etat Haïtien, et du rapport conflictuel qu’il entretient avec ses contribuables.

5. L’AMÉLIORATION RELATIVE DE LA PERFORMANCE FISCALE D’HAÏTI DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 2000 : FRUIT DE L’ACCOMPAGNEMENT INTERNATIONAL ?

Alex Dupuy développe fortement dans son livre sur l’économie politique haïtienne l’argument que le sous-développement d’Haïti marche main dans la main avec la dépendance aigüe du pays vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux. La perspective critique de Dupuy est à placer dans le contexte de la remise en cause de l’efficacité de l’aide au développement dû au manque de preuves existantes quant à son impact positif sur la croissance des pays bénéficiaires. Mais si certains auteurs, notamment ceux issue de l’école de la dépendance à laquelle appartient Dupuy, voient l’assistance internationale comme une forme de domination étrangère qui ne porte pas son nom, d’autres, comme Paul Collier (2002), issues de l’école dite-institutionnaliste, tentent de démontrer que l’efficacité marginale de l’aide dépend fortement de la qualité institutionnelle et de l’environnement politique du pays.

Concernant l’incidence sur les recettes fiscales, les résultats empiriques tendent à montrer une forte hétérogénéité des effets de l’aide. Selon Clist (2011), dans les pays institutionnellement fragiles comme Haïti, l’aide peut décourager l’Etat à mobiliser des ressources domestiques. Ceci est d’autant plus avéré lorsque l’aide prend essentiellement la forme de dons, et encore plus lorsque ces dons sont non-conditionnelles. Or, dans le cas d’Haïti, nous avons vu qu’il y a eu une amélioration de la pression fiscale depuis la dernière grande crise politique en 2004, alors que parallèlement sur la même période l’aide au développement a augmenté. Comme le montre le graphique suivant, l’aide publique au développement semble avoir effectivement eu une incidence positive sur la pression fiscale haïtienne.

Figure 4

Sources : réalisation propre à partir de données de la BRH et de la Banque Mondiale

Bien qu’il nous faudrait une analyse économétrique pour déterminer la robustesse de cette relation en Haïti, cette dernière nous invite malgré tout à nous interroger sur les canaux par lesquels l’aide opèrent pour améliorer la mobilisation des ressources en Haïti.

5.1. LE RÔLE DES IFIS

Premièrement l’incidence positive de l’assistance étrangère en Haïti opère à travers le canal de la conditionnalité des financements et de l’assistance technique offerte par les bailleurs. Les institutions financières multilatérales (FMI et Banque Mondiale) et bilatérales (USAID principalement) sont les acteurs principaux de l’aide au développement en Haïti. La composition de leur apport en aide—prêts et dons—varie d’une institution à l’autre, mais en général l’aide à Haïti se fait souvent sous condition d’application de réformes. Dans cette partie, nous mettrons l’accent sur l’institution la plus influente en Haïti, le FMI, qui offre depuis des décennies au pays des prêts concessionnels et une assistance technique importante.

Depuis 2006, soit 2 ans après la fin de la grande crise politique, le FMI apporte un soutien financier et technique aux administrations budgétaires et financières d’Haïti pour appuyer la stabilité macroéconomique et la gestion des flux d’aide du pays. A partir de 2010, dans le contexte de l’urgence post-tremblement de terre, le FMI a accru son soutien au pays, pour accommoder les dépenses liées à la reconstruction, et s’est penché sur la question de la gestion des ressources domestiques. La mise en place du premier programme de Facilitation Élargie du Crédit (FEC) avec Haïti en 2010 s’inscrit en partie dans ce contexte. Ce programme qui s’est étendu de 2010 à 2014 a donné accès à Haïti à des prêts concessionnels, en contrepartie de quoi le pays s’est engagé à réformer entre autres choses la gestion de ses finances publiques afin d’augmenter la pression fiscale.

Bien que l’évaluation du FMI du premier programme FEC souligne des fortes insuffisances au niveau de la mise en place des réformes, le FMI a depuis 2014 accru son soutien. En effet, en 2014 un second programme FEC d’une durée de 4 ans a été mis en place avec pour condition que le gouverneur haïtien accentue ses efforts de réformes. Les réformes recommandées par le FMI, et en parallèle par d’autres bailleurs de fonds, incluait la mise en place du côté des dépenses d’un compte unique du trésor (un outil de gestion de la performance de la trésorerie de l’Etat). Du côté des recettes, le FMI a demandé à l’Etat de revoir le code fiscal pour mieux gérer les obstacles étudiés dans la section précédente. L’institution a conseillé notamment de réduire le nombre de taxes vexatoires, et d’augmenter les investissements dans la capacité des administrations des impôts. Ce programme a également mis l’accent sur la nécessité d’augmenter les revenus fiscaux à travers l’implémentation de la Taxe sur la Valeur Ajoutée.

Plus récemment, en Février 2018, le FMI a signé avec Haïti un protocole d’accord sur un nouveau programme de référence : le Staff Monitoring Program (SMP). Ce programme ne prévoyait pas de financement direct au gouvernement mais était strictement orienté vers le renforcement des capacités administratives et fiscales des autorités budgétaires. Pour l’Etat haïtien l’intérêt était d’envoyer un signal fort à la communauté internationale que le pays se mettait en marche vers la “bonne gouvernance”. Le communiqué de presse préparé conjointement par le gouvernement d’Haïti et le FMI précise : “ Les réformes envisagées viennent renforcer le cadre financier et budgétaire en améliorant la mobilisation des ressources fiscales”.

En somme, et pour paraphraser le titre d’un article paru dans Le Nouvelliste (un journal d’Haïti) en 2018, le FMI se comporte depuis 2010 comme le “gendarme des finances publiques d’Haïti”. Difficile donc de ne pas y voir là le signe d’une ingérence politique. Mais en attendant le jour où les haïtiens “récupèrent leur capacité à écrire leur propre Histoire selon leurs propres conditions”[5], ils pourront au moins compter sur l’assistance du Fond Monétaire pour redresser leurs comptes.

5.2. OBSTACLES AUX RÉFORMES RECOMMANDÉES

Malgré l’accompagnement international, la mise en place des réformes fiscales reste très limitée. Nous avons étudié les origines des obstacles aux réformes, et nous avons vu le long chemin qu’il reste à parcourir. Mais l’environnement politique haïtien reste de loin l’obstacle le plus difficilement surmontable.

En effet, la situation politique et économique aujourd’hui est tendue et volatile. Six mois après la signature du protocole d’accord sur le SMP avec le Fond Monétaire, une nouvelle crise politique et économique a éclatée dans le pays. Une mesure prise par le gouvernement visant à supprimer les subventions sur les produits pétroliers pour réduire le déficit publique (l’une des réformes préconisées par le FMI) déclencha des émeutes violentes au mois de Juillet 2018. Et depuis lors, on assiste à la chute du taux de change de la gourde (monnaie nationale) face au dollar et à une inflation galopante à deux chiffres. Déjà en 2017 l’économie connaissait un ralentissement. Mais à partir de 2018 les perspectives se sont assombries.

En réponse à la dégradation économique et à l’insatisfaction de la population, des manifestations de lutte contre la corruption et de lutte contre le pouvoir en place se sont multipliés entre la deuxième moitié de 2018 et ce début d’année 2019. Pour stabiliser la situation, le FMI a signée au mois de Février un nouveau protocole d’accord sur la mise en place d’un troisième programme FEC avec Haïti pour un montant de 229 millions de dollars sur trois ans. La contrepartie principale cette fois-ci est que le gouvernement renforce les mécanismes de lutte contre la corruption.

Mais comme pour les précédents programmes, la difficulté pour le FMI reste la même : la mise en place des réformes est constamment retardée par des impasses politiques à répétition. L’équilibre politique est si fragile qu’aucune majorité politique en Haïti n’a aujourd’hui de pouvoir suffisant pour renverser le statu quo.

Ainsi, s’il y a bien une leçon que nous devrions tirer de l’histoire récente d’Haïti, c’est qu’il demeure fort possible que les réformes budgétaires, qui seraient pourtant bénéfiques à l’Etat et au développement du pays, resteront bloquées dans des armoires de ministères pour une durée encore indéterminée.

6. CONCLUSION

 Un État extrêmement dépendant de ressources externes, et incapable de mobiliser suffisamment de recettes domestiques ne peut pas s’administrer souverainement, ni moins prétendre au développement. Dans cet essai nous avons analysé les obstacles à l’équité et à l’efficacité du prélèvement de l’impôt en Haïti en montrant que ceux-ci sont difficilement surmontables. Le tableau que nous avons peint n’est pas particulièrement optimiste tant les vulnérabilités de l’Etat sont grandes. Pour mettre en place les réformes nécessaires au redressement des finances publiques et des recettes en particulier, cela nécessite sur le plan politique un renversement du statu quo, et l’instauration d’un nouveau consensus politique qui s’installe dans la durée. L’approche technocratique du FMI des finances publiques d’Haïti court le risque de sous-estimer les changements politiques dont le pays a besoin. Il ne suffit pas de recommander des recettes bien pensées. L’urgence morale du développement d’Haïti exige que celles-ci soient représentatives d’une véritable volonté politique à l’échelle nationale pour que leur mise en place soit effective. Or pour l’instant, le pari demeure loin d’être gagné.

L’honnêteté intellectuelle impose cependant de poser certaines limites à notre analyse. D’une part, nous n’avons pas étudié de manière exhaustive l’ensemble des déterminants de la pression fiscale en Haïti. Nous nous sommes concentrés sur ceux qui ont été identifié par les experts internationaux et sur ceux qu’il était possible d’identifier à partir de données disponibles relativement crédibles. Or ces dernières étaient malheureusement insuffisantes pour réaliser des analyses plus poussées. Il nous manquait par exemple des informations fiables quantifiant l’évasion fiscale en Haïti.

D’autres part, les chiffres que nous avons exposés sont ceux d’institutions sérieuses, mais l’analyse statistique que nous avons réalisé à partir de ces données reste très limitée. Des études économétriques robustes méritent d’être réalisées pour mesurer le poids des idées que nous avons avancé dans ce document. Cependant, nous estimons avec un degré raisonnable de certitude, que les conclusions que nous avons tirées demeureront vérifiées.

En effet, le statu quo en Haïti maintient le pays dans un état de soumission et d’impuissance abject. Dans l’espace politique actuelle, la notion même de justice sociale est absente. Tant que la politique du ventre de l’élite politique ne sera pas remise en cause de façon durable, l’espoir de finances publiques saines et d’une mobilisation fiscale équitable demeureront de doux rêves utopiques.

Laurent Weil

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[1] Max Weber, Le Savant et le Politique, 1919

[2] Robert Fatton Jr., The Fall of Aristide and Haiti’s Current Predicament, The Canadian Institute for International Affairs, 2005

[3] Par inquiétude d’un effet boule de neige de la révolution de ses esclaves

[4] James (2013)

[5] Robert Fatton Jr., Haiti trapped in the Outer Periphery. Lynne Rienner Publishers, Inc., 2013, p. 176

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