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1. Entwodiksyon

2. Analiz de yon seri etid entènasyonal ki fèt sou rapò ant lajan leta rantre nan kès li (resèt) ak devlopman ekonomik

3. Enpak vilnerabilite ekonomi peyi d’Ayiti sou resèt leta

4. Analiz de orijin move jesyon lajan leta an Ayiti

5. Wòl èd entènasyonal la nan kad devlopman reset fiskal leta ayisyen 

6. Konklizyon

“L’histoire budgétaire d’un peuple est avant tout une partie essentielle de son histoire générale. Une incidence énorme sur le sort des nations émane de l’hémorragie économique que les besoins de l’Etat nécessitent, et de l’utilisation qui en est faite.”

Joseph Schumpeter, économiste

1. INTRODUCTION

Le 12 janvier 2010, Haïti est frappé par un séisme dévastateur qui en moins d’une minute ravage la capitale, Port-au-Prince, et toute la zone métropolitaine. Le bilan humain dépasse les 200 000 morts et les dégâts matériels touchent tous les secteurs de la vie nationale. Au niveau des finances publiques, le tremblement de terre donne le coup de grâce aux maigres ressources du pays. A moyen terme, les pertes sont irrécupérables : la plupart des édifices publics majeurs s’effondrent, tels que le Palais national (Bureau du président), le ministère de l’Economie et des Finances, le ministère des Travaux Publics, le ministère du Plan et de la Coopération Externe, le Parlement, et la Direction Générale des Impôts.  

Qui plus est, la Grande Catastrophe survient dans un contexte d’affaiblissement de l’État. Après la chute de la dictature en 1986, le pays traverse une transition démocratique difficile, qui durera trente ans sans jamais aboutir à l’instauration de l’État de droit. Au contraire, après 1986, les échecs politiques s’enchaînent et la paupérisation de l’Etat se renforce. Sur le plan politique stricto sensu, gouvernements putschistes et gouvernements démocratiquement élus alternent entre 1986 et 1994. S’ensuit jusqu’à ce jour l’organisation d’élections présidentielles systématiquement contestées. L’instabilité qui en résulte est parlante : entre 1986 et 2019, le pays connaît 17 présidents et 22 premiers ministres. Aux crises politiques s’ajoutent des crises sociales qui paralysent continuellement le pays. Des émeutes, tantôt en réaction aux fluctuations des prix des produits de première nécessité et du pétrole, tantôt en expression de l’insatisfaction politique, sont fréquentes. La crise la plus forte aboutit en 2004 au renversement du Président Jean-Bertrand Aristide. Par ailleurs, l’Etat Haïtien doit gérer depuis le début du XXIème siècle la multiplication des catastrophes naturelles, telles que celles qui ont ébranlé l’île en 2008 (la tempête tropicale Fay, et les cyclones Gustav, Hanna, et Ike) et en 2016 (le cyclone Matthew).

Dans ce contexte de vulnérabilités généralisées et de manque de ressources domestiques, la défaillance de l’action gouvernementale se cristallise en 2010. Très rapidement après le séisme, les autorités nationales se voient de facto remplacées par les bailleurs de fonds et leur armée d’ONGs étrangères pour l’agencement des secours, et in fine pour la gestion des affaires publiques. Beaucoup s’inquiètent de l’ingérence et de la tutelle, mais dans l’urgence, la solidarité de la communauté internationale est unanime. 10 milliards de dollars de dons sont promis à Haïti à travers le monde.

Dans le même élan, les institutions financières internationales allègent les conditions et mécanismes de financements internationaux. Dès Juin 2010 notamment, le Fond Monétaire International (FMI) s’engage dans plusieurs programmes pour faciliter le financement du pays et s’assurer du maintien de la stabilité macroéconomique. Il crée par exemple un fond spécial, le Fond fiduciaire pour l’allégement de la dette après une catastrophe (ADAC), qui vise à accompagner les programmes d’investissement public (de reconstruction) et de dépenses de lutte contre la pauvreté. Le FMI facilite également les conditions de crédit du pays en accélérant pour Haïti la mise en place des deux programmes d’allègement de dettes prévus pour les pays pauvres endettés : l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et l’initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM). En parallèle, le FMI met en place le programme de facilité élargie de crédit (FEC), un programme de financement à taux zéro mais conditionnel pour encourager Haïti à lancer un vaste plan de réformes visant à permettre au pays d’absorber les flux d’aides sans compromettre la stabilité macroéconomique.

Aujourd’hui, soit 9 ans plus tard, les flux d’aides sont en forte baisse alors que le pays demeure loin de réaliser les objectifs de résilience, de reconstruction et de développement qui ont été fixés au lendemain de la Grande Catastrophe. Pour essayer de compenser la diminution de l’assistance étrangère, il est donc urgent pour Haïti de prioriser une gestion saine et durable de ses finances publiques en général, et d’augmenter ses recettes fiscales en particulier.

D’une part, une gestion saine et durable implique que le pays assure la pérennité de son action et qu’il favorise ses citoyens les plus vulnérables, sans quoi l’instabilité politique et sociale généralisée immobilisera toujours son agenda de développement. Haïti doit donc garantir que sa politique fiscale soit équitable.

D’autre part, pour augmenter ses recettes, Haïti doit mettre l’accent sur l’efficacité de l’impôt et sur les obstacles à la pression fiscale. Selon la banque centrale haïtienne, la Banque de la République d’Haïti (BRH), cette dernière, mesurée par le ratio recettes fiscales (hors cotisations sociales) sur PIB, était de 12,62% en 2018, alors que la moyenne régionale tournait aux environs de 22% la même année et que la moyenne pour les pays à faible revenu était de 15%. En d’autres termes, améliorer la mobilisation des ressources fiscales en ce début de XXIème siècle devrait incontestablement être la priorité de l’Etat.

L’enjeu du présent essai est alors de comprendre :

Quels sont les obstacles à l’augmentation, à l’équité et à l’efficacité de la mobilisation des recettes fiscales en Haïti ?

Pour se faire, nous reviendrons dans un premier temps sur l’évolution de la pression fiscale haïtienne en la comparant à celle d’autres pays en développement, spécifiquement à celle des pays à faible revenu similaires à Haïti et avec celle de la région Amérique Latine-Caraïbe.

Ensuite, nous déterminerons en profondeur les entraves à la bonne marche du prélèvement fiscale en Haïti. Enfin, en mettant l’accent sur l’influence des institutions internationales, nous essayerons de comprendre les facteurs expliquant les quelques progrès réalisés ces dernières années par les administrations publiques du pays et les entraves qu’ils leurs restent encore à dominer.

2. REVUE DE LA LITTÉRATURE

 Avant d’étudier notre sujet, il conviendra de passer en revue la littérature existante sur le thème des obstacles à la pression fiscale dans les pays en développement afin d’établir les connaissances de base qui nous permettront de mieux identifier les problèmes. 

Au fil des années, la question de l’incidence des recettes de l’Etat sur le développement a été soulevée par de nombreux intellectuels influents. Néanmoins, dans la plupart des grands débats économiques contemporains sur le financement du développement, ce sujet a été marginalisé par d’autres, comme la question de l’annulation de la dette souveraine des pays très endettés ou l’efficacité de l’aide publique au développement. Ce n’est qu’à partir de la Conférence sur le financement du développement de Monterrey en 2002 que l’importance de la mobilisation des recettes fiscales est établie. Mais il faudra attendre la Conférence d’Addis-Ababa en 2015, qui intervient dans le contexte d’élaboration par l’ONU des Objectifs du Développement Durable (ODD), pour que la question se vulgarise et devienne centrale parmi les décideurs politiques.

En outre, le regain d’intérêt pour le sujet peut s’appuyer sur les nombreux travaux apparus dans les années 70, et multipliés ensuite dans les années 90 et 2000, sur les déterminants de la pression fiscale dans les pays en développement.

Le premier déterminant qui vient à l’esprit de tout économiste est évidemment le niveau de développement économique d’un pays. En ce sens, un volet de la littérature a depuis longtemps établi le lien existant entre ce dernier—mesuré par son Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant—et la pression fiscale—mesurée par le total des recettes fiscales (hors cotisations sociales) sur le PIB. Les études les plus notables sur la question sont celles de Lotz (1967)Bahl (1971)Heller (1975)Chelliah et al. (1975)Tait et al. (1979) et Leuthold (1991). Comme on pourrait l’espérer, ces études montrent que ce lien est positif, ce qui confirme ainsi la loi de Wagner (1872) qui stipule que la croissance du niveau de vie de la population d’un pays s’accompagne d’une augmentation de la demande de services publiques (élasticité revenu supérieure à 1), et donc d’une augmentation du besoin de financement publique.

D’autres études, comme celles de Burgess et Stern (1993)Khattry et Rao (2002)Agbeyegbe et al. (2006)Baunsgaard et Keen (2010), et plus récemment Morrissey et al. (2016), mettent l’accent sur le niveau d’ouverture commerciale des pays en développement. Dans les années 80 la plupart des pays en développement sont encouragés par les institutions financières internationales (IFIs) à baisser leurs droits de douane pour encourager le libre-échange, car celui-ci est censé favoriser la croissance. Bien que la libéralisation commerciale n’ait pas toujours rapporté les résultats escomptés, les études citées montrent pourtant que le niveau d’ouverture est positivement corrélé avec la pression fiscale. Selon les auteurs, l’explication est à trouver dans l’augmentation des volumes de produits échangés—et donc des volumes imposables—en conséquence de la baisse des barrières tarifaires. Dans le cas des pays n’arrivant pas à compenser la perte des recettes douanières par unité échangée par l’augmentation des volumes imposables, ou dans le cas de pays exposés à une augmentation de la vulnérabilité des recettes dû à l’instabilité des échanges (Morrissey et al. (2016)), une autre explication avancée est que ces pays se voient en conséquence obligés de chercher d’autres sources d’imposition ; ils sont forcés de « moderniser » leur système fiscal, c’est-à-dire de rapprocher leurs standards fiscaux de ceux des pays industrialisés.

Un autre déterminant majeur de l’évolution des recettes fiscales avancée par la littérature est la composition sectorielle de l’économie. Gupta (2007) notamment souligne la dépendance de nombreux pays en développement vis-à-vis de la production agricole. Ce secteur étant difficile à taxer du fait de la petite taille et du caractère informel de la plupart des exploitations, ainsi que de la difficile comptabilisation des sorties, il conclut en démontrant une relation négative entre la part de l’agriculture dans l’économie et la pression fiscale. Plus récemment, d’autres auteurs comme Mazhar et Méon (2017) se sont penchés sur la place du secteur informel de façon général dans l’économie. Comme on pourrait s’y attendre, les auteurs trouvent qu’une augmentation de la part de ce secteur dans l’économie est associée à une baisse de recettes fiscales perçues par l’Etat, le secteur informel échappant à la fiscalité.

Parmi les autres variables économiques considérées par les chercheurs, la littérature souligne également l’impact négatif de l’inflation, l’impact positif d’une dévaluation, et l’impact hétérogène de l’aide publique au développement (APD). Concernant cette dernière, Clist et al. (2011) montrent que dans les pays où le niveau de stabilité politique est faible, l’APD peut désinciter l’Etat à mobiliser des ressources domestiques, mais qu’au contraire, dans les pays où il est fort, l’APD encourage la pression fiscale.

Si les indicateurs économiques constituent des déterminants importants de la pression fiscale, d’autres types de facteurs ont aussi été considérés, notamment les facteurs démographique (positivement corrélée à la pression fiscale) et institutionnel. Il a été notamment démontré par un nombre important de la littérature que la corruption affecte négativement la pression fiscale et que la bonne gouvernance l’affecte positivement.

Un ultime indicateur qu’il convient de souligner, en particulier pour son importance dans le cas d’Haïti, est l’héritage colonial du pays. Selon l’approche de l’école de la dépendance et de l’école institutionnaliste notamment, la trajectoire politique des pays en développement est fortement liée aux institutions économiques qu’ils ont héritées de la période coloniale. Les auteurs de ce volet de la littérature suggèrent que les institutions économiques héritées du passé ont fortement influencé le choix des politiques budgétaires et fiscales que les pays ont décidé de mettre en place au fil du temps.

3. INCIDENCE DES CHOCS SUR LA PRESSION FISCALE EN HAÏTI : BRÈVE HISTORIQUE

Plusieurs enseignements doivent être tirés de la littérature pour permettre à Haïti de prélever plus d’impôts. Mais en plus de prélever plus d’impôts, Haïti doit prélever mieux et de façon plus équitable. Un diagnostic du système fiscal du pays révélera sans doute l’inadéquation entre les objectifs d’efficacité et d’équité de l’impôt et les méthodes employés pour augmenter la pression fiscale. Mais pour commencer, il est important de revenir sur l’historique de la pression fiscale du pays.

Selon la BRH, la pression fiscale d’Haïti représentait 12,62% du PIB en 2018. En 1985, soit un an avant la chute du président Jean-Claude Duvalier, ce taux était de 12,75%. Que s’est-il passé pendant ces 33 ans qui explique une si étonnante stagnation ? Comme le rappelle le politologue haïtien Alex Dupuy dans son livre Haiti : From Revolutionary Slaves to Powerless Citizens : Essays on the Politics and Economics of Underdevelopment, 1804–2013, les causes structurelles sont à trouver dans « les réalités, qui se renforcent mutuellement, du sous-développement et de la dépendance »[1].  

3.1. UN ETAT FRAGILE

Pour reprendre le cadre analytique de Dupuy, nous devons nous pencher d’abord sur la question du sous-développement. Bien qu’il ne soit pas original d’amorcer une analyse d’Haïti sur la description de sa pauvreté abjecte, le niveau de développement d’un pays est, comme nous l’avons vu, l’un des piliers de la pression fiscale. Pour étudier la relative stagnation de revenus fiscaux d’Haïti depuis trente ans, revoir l’historique du développement du pays est alors le point de départ obligé. Pour se faire, le pays doit être correctement classé afin d’aborder les effets spécifiques du sous-développement dans le cas d’Haïti.

Tout d’abord considérons les faits statistiques connus. Selon la Banque Mondiale, le PIB par tête d’Haïti était de 765,68 dollars par habitant en 2017, ce qui la place dans la catégorie des pays « à faible revenu » (PFR)—une classification désignant les Etats les plus pauvres parmi les économies non-industrialisées. Au-delà du niveau économique faible, cette classe de pays partage un certain nombre de faiblesses communes qui couvre plusieurs dimensions. D’une part ils ont des fortes vulnérabilités structurelles (aux chocs liés aux échanges internationaux notamment). D’autre part, ils souffrent d’une forte vulnérabilité politique (violence politique, faible efficacité des pouvoirs publiques, faible Etat de droit).

En plus d’être un pays à faible revenu, la condition insulaire d’Haïti la classe également dans la catégorie des petits Etats insulaires en développement (small insular developping states ou SIDS). Cette catégorie de pays est particulièrement vulnérable aux désastres naturels : du fait de leur situation géographique, ils sont les premiers à subir les effets négatifs du réchauffement climatique, comme on peut le voir avec la multiplication en nombre et en intensité des ouragans et des inondations qui ont frappé cette catégorie de pays pendant ces vingt dernières années. En Haïti, les désastres naturels représentent un danger particulièrement fort par le fait qu’ils frappent le secteur agricole qui est la première source de revenu de près de 60% de la population.

Haïti est ainsi exposée à un ensemble de risques qu’elle n’a pas les moyens de gérer seul. Cette réalité qui est celle de la dépendance, pour reprendre la perspective de Dupuy, la classe dans une ultime catégorie, si pertinente qu’elle constituera le point focal de notre analyse : celle d’Etat fragile. Cette classification construite par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) mesure le niveau de fragilité d’un pays sur cinq dimensions : l’exposition aux risques de violence, la capacité de la justice, le niveau de développement des institutions, le niveau économique, et enfin le niveau de résilience. La faiblesse d’Haïti sur ces cinq dimensions classe le pays parmi les dix pays les plus fragiles au monde.

Autrement dit, Haïti est un Etat pauvre dont la vulnérabilité aux chocs, tant exogènes (naturels et externes) qu’endogènes (chocs internes engendrés par l’instabilité politique), est significativement plus élevée que celle de la plupart des autres pays en développement. L’histoire récente du pays reflète parfaitement cette impuissance dont les conséquences sur les finances publiques et en particulier sur la pression fiscale sont palpables.

3.2. DES ANNÉES DIFFICILES POUR LES FINANCES PUBLIQUES

Sur les trente dernières années, la croissance moyenne par tête d’Haïti a été de -1% selon le FMI, une évolution négative qui résulte des chocs divers qui ont frappé le pays.

Figure 1

Source : réalisation propre à partir des données du FMI

Tout d’abord, entre 1991 et 1994, suite au coup d’Etat qui renverse le nouveau président élu, Jean-Bertrand Aristide, la communauté internationale—l’Organisation des Etats Américains dans un premier temps, suivie par la Communauté Européenne ensuite, et le Conseil de Sécurité des Nations Unies enfin—inflige à Haïti un embargo pour sanctionner le régime putschiste du Général Raul Cédras. En 1994 l’embargo prend fin avec le rétablissement d’Aristide au pouvoir par les Etats-Unis. Sur cette période, le PIB réel du pays chute de 23,91%.

Autre choc notable : entre 2001 et 2004, alors qu’une crise politique découlant de luttes de pouvoir internes se cristallise, la communauté internationale décide de réduire l’aide publique au développement vers Haïti. Si celle-ci atteignait 560 millions de dollars en 1998, en 2002 elle atteint 202 millions, pour remonter légèrement à 242,57 millions en 2004 à la fin de la crise qui aboutit une nouvelle fois de plus au renversement du président Jean-Bertrand Aristide. Sur cette période le PIB réel se contracte avec un taux de -4,82%.

Puis, il y eut le choc des matières premières sur les marchés internationaux en 2008 dont l’impact en Haïti fut considérable puisque le pays est un importateur net de produits vivriers et de pétrole. Cette année-là, la croissance réelle ralentie à 0,84%. La même année Haïti est aussi frappée par des ouragans en série, qui affectent la capacité de l’Etat à réagir en période de crises.

En 2010, l’année du tremblement de terre, les dégâts sont colossaux, même si l’arrivée des fonds de l’aide internationale contrebalance en partie l’impact de la Grande Catastrophe sur le PIB.

Somme toute, si on tient compte de la croissance réelle par habitant pendant les années hors-crise, comme le souligne le FMI, cette performance “n’a pas compensé les pertes occasionnées pendant les années de crise”[2]. Cela explique donc la croissance négative enregistrée par le pays entre 1985 et et 2015.

Les données du FMI retrouvées s’arrêtent en 2015, mais depuis, d’autres crises politiques ont eu lieux, d’autres aléas climatiques aussi. Nous pouvons souligner par exemple les effets dévastateurs de l’ouragan Matthew, qui ravagea la côte sud du pays en 2016.

Ainsi, les chocs politiques, économiques, commerciaux et climatiques, ont rendu la croissance haïtienne instable. C’est ce que le FMI appelle une dynamique économique de stop-and-go.

Quelles sont les implications exactes de cette tendance pour les finances publiques ? Comme le montre la figure 2 suivante, elles sont très importantes. Plus spécifiquement, à travers l’effet sur le PIB, l’incidence des chocs et de la volatilité économique sur la pression fiscale est palpable.  En ce sens, le Tableau des opérations financières de l’Etat (TOFE) révèle une forte volatilité des recettes avec par exemple une variation annuelle d’environ 16% entre 2015 et 2016. Au premier abord, le cas d’Haïti semble donc confirmer la relation causale démontrée par la littérature entre le développement économique et la pression fiscale.

Le graphique montre en effet une chute de la pression fiscale pendant la période de transition à la suite du renversement de Jean-Claude Duvalier, entre 1986 et 1988, une tendance qui suit celle du ralentissement économique pendant la période. La chute de la pression fiscale s’accentue d’avantage pendant l’embargo, entre 1991 et 1994, à l’image de la forte contraction du PIB. Puis comme la croissance de 1994 à 2000, la tendance est croissante, avec un fléchissement pendant la crise des années 2001-2004. A partir de 2004, PIB et pression fiscale repartent à la hausse, mais avec un nouveau fléchissement des deux indicateurs depuis 2016. Il faut toutefois souligner une exception : entre 2012 et 2015 la pression fiscale baisse alors que le PIB augmente.

Figure 2

Source : réalisation propre à partir des données de la BRH et de la Banque Mondiale

3.3. SELON UNE APPROCHE COMPARATIVE, UNE PERFORMANCE FISCALE DÉCEVANTE

La progression de la pression fiscale depuis 1994 ne doit cependant pas éclipser le fait que celle-ci est en réalité revenu à un niveau que le pays avait connu avant la transition démocratique. Par conséquent on pourrait dire que si à moyen-terme la pression fiscale semble avoir augmenté par l’incidence de la croissance du PIB, à long-terme celle-ci a stagné parce que le développement à long-terme du pays a stagné aussi.

Parallèlement, la performance fiscale d’Haïti est décevante en comparaison avec celle des autres pays en développement. En effet, quand on compare la pression fiscale d’Haïti avec les autres pays à faible revenu et aussi avec les pays de la région Amérique Latine-Caraïbe, fort est de constater qu’Haïti est à la traîne. Alors que la pression fiscale moyenne de ces pays était respectivement de 15% et de 22,8% du PIB en 2017, celle d’Haïti était de 12,62%.

Par ailleurs, la divergence entre la pression fiscale d’Haïti et celle des autres pays de la région s’est creusée au fil des années et sur la période 1990-2017, avec une différence moyenne de 9,84% sur la période alors que la différence était de 6,21% en 1990.

La divergence avec les pays à faible revenu également s’est quelque peu accentuée, comme le montre la figure 3 suivante, bien que l’évolution de la pression fiscale haïtienne ait suivi la même tendance que celle de ces derniers. En effet, alors que la différence entre la pression fiscale d’Haïti et la moyenne de celle des pays à faibles revenus était de 0,12% en 1991, la différence moyenne sur la période 1991-2017 est passée à 1,20%.

Figure 3

Source : Réalisation propre à partir des données de la BRH, de l’OCDE et du Government revenue dataset de l’International Centre for Tax and Development

En outre, la pression fiscale d’Haïti est bien en-deçà de son potentiel fiscal. Selon les calculs du FMI, le potentiel fiscal des pays d’Afrique Subsaharienne est estimé à 20% de leur PIB en moyenne. Cette région étant composée essentiellement de pays pauvres, nous pouvons grossièrement utiliser ce potentiel fiscal comme un proxy pour celui d’Haïti. Théoriquement, cela signifie que si la structure économique d’Haïti demeure inchangée, le pays devrait pouvoir augmenter confortablement ses recettes, tant le champ fiscal inexploité est vaste.

Par conséquent, le PIB n’est pas la seule variable à prendre en compte pour expliquer un si faible taux d’imposition dans le pays. Haïti est l’économie la plus pauvre d’Amérique, certes, mais parmi les pays à faible revenu, elle se situe au-dessus de la moyenne, et pourtant son niveau de pression fiscale est en dessous de la moyenne des pays de sa catégorie. De toute évidence, il faut approfondir les origines de cette faiblesse. D’autant plus que les implications politiques sont très fortes : un pays en développement qui ne couvre que 63% de sa frontière fiscale est un pays ayant une politique fiscale foncièrement inefficace, ce qui constitue une entrave à son développement.

Ceci est encore plus préjudiciable qu’Haïti est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Selon la Banque Mondiale, plus de 54% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et plus de 22% vit sous le seuil d’extrême pauvreté. La rareté des richesses taxables mais surtout l’urgence d’une dépense publique axée sur la lutte contre la pauvreté, devraient imposer à l’Etat une exigence d’efficacité de l’impôt.

Aussi, il convient de rappeler que le budget de l’Etat est un “stabilisateur automatique” de premier ordre. Les stabilisateurs automatiques peuvent être définis comme des mécanismes de lissage ou de correction des cycles économiques qui ne nécessitent pas d’intervention publique ; ils ont un effet contra-cyclique sur l’économie. Dans une phase de récession, le montant des prélèvements fiscaux baisse ce qui a une incidence positive sur les revenus privés et ce qui réduit ainsi les effets négatifs de la récession sur la demande globale. Dans une phase de croissance, la pression fiscale augmente, ralentissant ainsi la demande globale, ce qui permet d’éviter de surchauffer l’économie. Ce type de mécanismes sont particulièrement importants pour un pays aussi profondément vulnérable qu’Haïti qui ne peut sortir d’une dynamique de croissance en stop-and-go sans développer sa capacité d’amortir l’effet des chocs conjoncturels. C’est ce que l’OCDE appelle aujourd’hui la capacité de “résilience” d’un pays, et la mobilisation de recettes fiscales en est un mécanisme fondamental. Or l’effet stabilisateur de la pression fiscale ne fonctionne bien que si les impôts sont progressifs et donc équitables—le but du stabilisateur étant d’affecter la demande du plus grand nombre de consommateurs possibles. Ainsi, plus la politique fiscale sera équitable, plus son effet contra-cyclique sera puissant. Or en Haïti, comme nous l’avons vu, l’incidence des chocs sur l’économie est très forte, ce qui pourrait signifier que l’effet du stabilisateur budgétaire fonctionne mal, ce qui voudrait aussi dire que l’impôt en Haïti est régressif et donc iniquitable.

Une influence sur l’effet stabilisateur du budget émane aussi de l’efficacité du prélèvement de l’impôt, efficacité et équité n’étant pas mutuellement exclusifs. En effet, plus l’assiette fiscale sera élevée, plus l’effet stabilisateur sera important.

Dès lors, ce qui semble apparaître dans cette analyse au-delà de la relativement décevante performance de la pression fiscale d’Haïti, c’est l’existence de défaillances au niveau du prélèvement de l’impôt tant en termes d’équité que d’efficacité. Nous avons vu par la grande distance existante entre la pression fiscale d’Haïti et son potentiel fiscal que les distorsions provoquées par les fluctuations économiques ne justifient pas à elles seules les obstacles à une meilleure et plus équitable mobilisation de l’impôt. Nous pouvons ainsi affirmer que cette dernière est réalisable, sans changer les « fondamentaux de l’économie haïtienne ». Mais si tel est le cas aujourd’hui, pourquoi l’Etat est autant à la traîne ? Comme nous l’avons constaté dans la revue de la littérature, la réponse est à trouver dans les caractéristiques structurelles du système politique, économique et fiscale d’Haïti.

Laurent Weil


[1] Robert Fatton Jr., Haiti: From Revolutionary Slaves to Powerless Citizens: Essays on the Politics and Economics of Underdevelopment, 1804–2013, écrit par Alex Dupuy, New West Indian Guide, Brill, 2015, https://doi.org/10.1163/22134360-08903024

[2] International Monetary Fund. Western Hemisphere Dept. Haiti : Staff Report for the 2015 Article IV Consultation and Request for a Three-Year Arrangement Under the Extended Credit Facility. 2015 (en ligne). https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2016/12/31/Haiti-Staff-Report-for-the-2015-Article-IV-Consultation-and-Request-for-a-Three-Year-43020

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